A quels besoins répondait la mise en place de cette cellule ?
Nous nous étions préparés à recevoir beaucoup d'appels, car les échos qui nous arrivaient du Grand Est nous laissaient envisager le pire. Tous les appels étaient motivés par une grande souffrance en lien avec des angoisses de mort et de contamination (contaminer l'autre, ses patients, sa famille, ou être contaminé). Tous témoignaient de l'effet anxiogène des informations relayées par les médias et des craintes en lien avec le faible niveau d'équipement au début pour faire face au virus, des conditions de travail difficiles, des organisations nouvelles, des conflits éthiques. Une majorité des appels concernaient des professionnels ne bénéficiant pas du soutien d'une équipe, beaucoup de femmes, travaillant à domicile dans le champ de la dépendance, avec des sujets âgés. Angoisses, insomnies, ruminations, retentissement corporel et épuisement, voilà les difficultés qui étaient évoquées. Les entretiens au téléphone nous amènent souvent à mettre en perspective une problématique actuelle et professionnelle avec des événements plus anciens ou relevant d'autres sphères de la vie des personnes. On peut être aide-soignante, on n'en est pas moins une femme, une mère, qui arrive dans cette crise avec son histoire et une certaine position dans l'existence. C'est en cela que la rencontre, même au téléphone avec un psychologue peut constituer un premier pas vers une démarche future de consultation ou de psychothérapie.
La consultation par téléphone a-t-elle un impact sur la qualité de l'entretien ?
Ca a été un vrai défi pour nous, proposer une écoute vivante et incarnée au téléphone, là où on a l'habitude de l'entretien, qui est un colloque singulier, une rencontre des corps la rencontre des corps en chair et en os, où le regard soutient et invite à la parole, et aussi parfois, à la possibilité du silence. Prendre le temps de laisser la parole se déployer au téléphone a sûrement aidé à cela.
Comment les psychologues eux-mêmes ont-ils vécu la crise ?
Nous avions en commun avec les professionnels susceptibles de nous appeler, ce réel insensé de la pandémie et du confinement. Ca ressemble au traumatisme, une réalité qui n'a pas de sens, qui vous tombe dessus, fait planer l'ombre de la mort et qu'on ne peut raccrocher à rien de connu. La temporalité est un peu différente de celle du trauma qui est brutal et soudain. Nous avons eu affaire, là, à un temps suspendu, presque infini, où nous étions comme perdus. Le temps et la parole nous ont permis de comprendre et de dépasser notre perplexité initiale pour donner du sens à cet insensé, lui faire une place dans notre vision du monde, dans le discours, en somme.